"Ta peur me fait peur"
Face à la crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui tous les citoyens de notre pays vivent des inquiétudes légitimes et profondes qui deviennent des angoisses qui guident trop souvent leur manière d’agir et de se comporter.
De très nombreux professionnels, en premier lieu les soignants à tous les niveaux font aujourd’hui preuve d’une abnégation de leur angoisse pour être présents tous les jours pour répondre à la terrible maladie qu’engendre aujourd’hui le Covid-19.
Le titre que nous avons choisi « ta peur me fait peur » avait été évoqué lorsque que nous avons fait le film « N’ayez pas peur ! ».
Déjà, il y a 10 ans, la présence d’une personne vivant avec un handicap pouvait faire peur à une autre personne qui ne la connaissait pas.
Notre situation actuelle est une conjugaison extrême de toutes les peurs existantes.
Les directives nationales de confinement, de protection individuelle et de comportement des uns vis-à-vis des autres animent une suspicion légitime de ne pas prendre de risque inconsidéré. Le témoignage de Thierry qui voit sa situation avec humour, il est conscient d’être avec toutes ses comorbidités à haut risque, il nous dit : « c’est dommage que je sois trachéotomisé parce que je ne peux pas fumer pour me protéger contre le coronavirus et pourtant j’ai besoin d’être davantage protégé qu’un autre car j’ai une insuffisance respiratoire, tu vois Pascal que l’on peut rigoler de tout ».
Les principales inquiétudes qui s’installent dans les esprits de toutes les personnes vivant avec un handicap sont :
- De ne pas être touchées par le coronavirus ;
- « J’ai de plus en plus de mal à vivre le confinement, comment vais-je résister aussi longtemps ? » ;
- « Que vais-je devenir demain, après le coronavirus ? Je n’ai plus d’argent, comment je vais conserver mon emploi ? En fait, comment pourrai-je rester utile à mon pays ? ».
Lorsque l’on est une personne vivant avec un handicap, on a les mêmes peurs que tout le monde, mais avec une acuité plus forte car nous avons d’autres raisons de nous inquiéter :
- Depuis le début du confinement, nous avons de moins en moins accès à nos soins traditionnels liés à notre handicap et à nos maladies chroniques ;
- Parce que nous voulons être le plus possible dans la vraie vie, nous faisons tous les jours un grand nombre d’effort pour construire notre autonomie et cela commence à être hypothéqué par le manque de rééducation qui ne sont plus des soins prioritaires dans notre système de santé.
- Selon notre niveau de dépendance, allons-nous continuer à trouver dans notre pays les accompagnements, les aides et les soins qui nous permettront de rester un citoyen à part entière, utile, et écouté, nous permettant d’apporter à notre pays la richesse de notre différence, à travers l’expertise que nous avons de notre handicap et l’expérience de vivre avec. Nathalie nous disait : « je suis une personne vivant avec handicap qui aujourd’hui fait peut-être moins peur que le coronavirus, mais tout le monde a peur de l’autre, qu’il soit professionnel ou non, aidant ou accompagnant, et accompagné parce que nous vivons tous ensemble une même peur et nous sommes tous égaux devant la nécessité de nous sortir de cette situation. Il nous faut beaucoup de courage pour être fraternel aujourd’hui sans avoir peur de l’autre ».
Pascal Jacob
Préambule
Nous vous proposons aujourd’hui une synthèse sur la disparité territoriale du soin et du prendre soin dans les régions françaises avec un regard spécifique sur trois départements Marne, Morbihan et Calvados). Ces trois départements ont augmenté fortement l’accès aux soins depuis 3 ans après avoir signé la charte Romain Jacob.
Les données présentées ci-dessous font apparaitre de forte différenciation territoriale sur deux types donnés :
- Les difficultés d’accès aux soins (non-accès à des soins et abandon de la recherche)
- Les conditions d’accès aux hôpitaux et à la médecine de ville (évolution de la part respective de l’hôpital et de la médecine de ville)
Deux constats semblent se dégager :
- Dans l’ensemble il apparaît une dégradation de l’accès qui est liée au recentrage des activités des hôpitaux sur le COVID et à la rétractation de la médecine de ville ; mais cette dégradation est différenciée : certains territoires ont limité la dégradation de l’accès à l’hôpital tout en développant le recours à la médecine de ville.
- Outre les différenciations en termes de démographie médicale (en ville et à l’hôpital) on constate que les meilleurs résultats sont obtenus dans les territoires où est intervenue une action volontariste de facilitation de l’accès aux soins à travers une mobilisation des professionnels notamment à travers :
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- La formation des professionnels à la prise en charge des personnes handicapées en organisant durant les études des stages qui mettent en contact les futurs professionnels avec les personnes
- L’accompagnement dans les parcours : présence des aidants, équipe spécialisée d’accompagnement au sein des structures (ex : services hospitaliers centres 15) et consultation spécialisées, engagement des équipes de soins primaires autour du médecin traitant...
Ces constats traduisent une certaine efficacité des actions engagées dans ces territoires ; cela conduit à souhaiter la diffusion des bonnes pratiques dans toutes les régions et tous les territoires au sein de chaque région et un suivi plus fin des actions innovantes afin d’approfondir les constats : par exemple suivre le pourcentage de soignants qui ont été formés, le nombre et le fonctionnement des équipes d’accompagnement, l’engagement des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) dans l’accès aux soins des personnes handicapes.
Effectif du baromètre :
Avant le confinement : 5664 questionnaires du 01 janvier au 16 mars 2020.
Depuis le confinement : 2288 questionnaires depuis le 17 mars.
France entière
- Une importante dégradation de l’accès aux soins depuis le confinement (+18,1%) ;
- Le nombre de personnes ayant abandonné leur soin est en baisse car elles sont plus motivées pour se soigner, compte tenu de la présence du coronavirus ;
- Il apparaît que les médecins généralistes n’ont jamais été aussi sollicités en cabinet, à domicile, en télémédecine, et en établissements sociaux et médico-sociaux pour répondre à un besoin de soin de proximité ;
- Cette évolution est directement liée à la baisse très importante, malgré le coronavirus, de la fréquentation globale des hôpitaux (urgences et services hospitaliers, Covid-19 compris). La fréquentation des hôpitaux avant le confinement était presque à 41 % et est descendue à 25,2 % ;
- Les types de soin sont regroupés en quatre groupes :
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- Les soins dits non prioritaires (ex : soins des dents, soins des yeux) apparaissent en forte baisse de demande, et en fort baisse d’abandon ;
- Les soins urgents autre que le coronavirus, ont progressé en besoin et baissé en abandon (ex : la gynécologie) ;
- Les soins liés aux maladies chroniques et au handicap (ex : rééducation) qui ont baissé en besoin et progressé en abandon ;
- Les soins incontournables, qui ont fortement augmenté en besoin et en abandon.
Région Grand Est
Analyse du tableau :
Baisse sensible de l’accès aux soins.
On constate une progression importante de l’activité des médecins généralistes avec en parallèle une légère baisse de la fréquentation de l’hôpital. Cette circonstance s’explique par la situation sanitaire que connait actuellement la région Grand Est avec l’épidémie du coronavirus.
Dans le Grand Est, le département de la Marne continue de marquer sa différence dans ses progrès dans l’accès aux soins grâce aux nombreux efforts faits par l’université de Reims qui a instauré à l’initiative de ses doyens une sensibilisation sans précédent au handicap de tous les soignants. Les résultats de la Marne ont été très spectaculaires et devraient devenir un exemple pour tous les autres départements.
Région Bretagne
Analyse du tableau :
La Bretagne a bien résisté pendant le confinement, et reste malgré la présence du coronavirus à un niveau d’accès aux soins en net progrès.
Le département du Morbihan, très touché aussi par le coronavirus, a été remarquablement sensibilisé par la conférence du 21 janvier à Vannes. Cette journée a permis à tous les soignants et accompagnants d’unir leurs efforts pour un bon accès aux soins.
Une certaine continuité a été apportée à la rééducation.
Région Normandie
Analyse du tableau :
Depuis deux ans, l’ensemble de la Normandie s’est fortement attelé à faire progresser l’accès aux soins des personnes vivant avec un handicap.
Le département du Calvados a bénéficié d’une université (université de Caen) innovante qui a suivi l’exemple de la Marne et commence à récolter les fruits de ses efforts dans un accès aux soins bien meilleur.
Région Centre-Val de Loire
Analyse du tableau :
On peut remarquer dans la région du Centre-Val de Loire une très forte baisse de l’accès aux soins et une hausse des abandons. L’ensemble est directement lié à la très faible densité des médecins généralistes, déjà saturés dans les « prendre soin » de proximité, et d’une baisse très faible de la fréquentation des hôpitaux.
Région Île-de-France
Analyse du tableau :
L’Île-de-France reste très mobilisée sur l’accès aux soins avec une baisse sensible.
L’Île-de-France a été caractérisée par un effort très important de la médecine de proximité pour compenser une baisse toute aussi importante de la fréquentation des hôpitaux.
Région Nouvelle Aquitaine
Analyse du tableau :
La Nouvelle Aquitaine progresse bien dans la qualité de l’accès aux soins.
Bon taux de l’acceptation de l’accompagnement dans le soin et bonne prise en charge des soins psychologiques et psychiatriques.
Le département de Charente Maritime a particulièrement bien réussi dans l’acceptation de l’accompagnement pendant les soins.
Région Pays de Loire
Analyse du tableau :
Cette région déjà en très haute en difficulté d’accès aux soins ne s’est pas améliorée pendant le confinement.
La baisse des abandons de soin est un point fort.
Une bonne réponse a été apportée au besoin de rééducation avec un taux d’abandon stable.
Région Bourgogne Franche-Comté
Analyse du tableau :
La Bourgogne Franche-Comté a bien accompagné les personnes vivant avec un handicap, avec un taux d’abandon qui a bien diminué.
Le taux d’activité des médecins généralistes pour les personnes vivant avec un handicap a doublé dans le même temps, la fréquentation de l’hôpital a été divisée par quatre.
Région Occitanie
Analyse du tableau :
Le non-accès aux soins a faiblement augmenté.
Région Auvergne Rhône-Alpes
Analyse du tableau :
Très grosse fréquentation de l’hôpital et notamment aux urgences, malgré une baisse d’environ 30% de la fréquentation.
Région Hauts de France
Analyse du tableau :
La région des Hauts de France est la seule où l’accès aux soins s’est légèrement amélioré depuis le confinement.
Région PACA
Analyse du tableau :
La région PACA est l’endroit où l’accès aux soins des personnes vivant avec un handicap est le plus difficile. L’activité des généralistes a baissé et le taux de fréquentation globale de l’hôpital s’est maintenu.
Conclusion
Le baromètre Handifaction nous permet de voir évoluer les différentes situations dans chaque région. Nous avons mesuré l’ensemble des chiffres que nous vous présentons dans cette note semaine par semaine, ce qui nous permet de rester optimiste car depuis quinze jours nous nous rapprochons de plus en plus des chiffres que nous avions l’habitude de voir avant l’arrivée du coronavirus.
La situation a été particulièrement difficile au cours de la troisième semaine de confinement. Des progrès sensibles liés à l’adaptation de l’ensemble des acteurs du soin et de l’accompagnement mais aussi des personnes vivant avec un handicap ont été réalisés et ont permis de trouver des solutions. Le gigantesque travail engagé par le Secrétariat d’État aux personnes handicapées a permis de motiver l’ensemble des acteurs pour adapter de mieux en mieux l’ensemble des contraintes imposées par le coronavirus. Les personnes vivant avec un handicap non sans difficulté cherchent et trouvent de nouveaux acteurs de proximité. Ces derniers leur apportent l’aide et l’accompagnement ainsi que le réconfort psychologique leur permettant de tenir le mieux possible, même si le temps de confinement reste long et délicat pour beaucoup de personnes vivant avec un handicap, isolées et sans lien avec leur famille.
Nous sommes conscients qu’il reste énormément à faire sur trois points essentiels :
- Remettre le plus vite possible en route les soins liés à l’handicap et aux maladies chroniques
- Remise en route urgente de la rééducation
- Trouver le plus vite possible un accès aux soins psychiatriques et psychologiques qui touchent aujourd’hui presque toutes les formes de handicap.
La parole de certaines personnes vivant avec un handicap est rassurante et réconfortante :
Comme le dit Charlotte « ça n’a jamais été si dur, c’est pour ça que l’on progresse vite et que nous allons réussir ensemble personnes valides et personnes vivant avec un handicap à gagner la guerre contre coronavirus ».